CARTERseth ; dis moi si je dois partir ou pas.

Ces journées, c’est toujours les mêmes. Vingt-trois avril, seize heures dix-sept minutes exactement : ce que le temps pouvait être long ! Enfin, je n’étais pas vraiment à plaindre ; ce n’est pas comme si mon travail m’en demandait vraiment beaucoup, même que des fois, je me considérais chanceux. Des fois, je dis bien, huh ? Parce que présentement, j’avais juste envie de tout envoyer promener. Sachez que la patience n’est point ma vertu ; je fais des efforts pourtant, croyez moi ! À croire qu’être chauffeur de l’héritière typique du genre « fille à papa » commençait vraiment à m’user. Pourquoi ? J’en avais marre d’attendre. Vraiment marre. Oui bon, être en retard, c’est jamais bien grave, une journée ou deux dans l’année quoi… Mais à tous les jours ? Y’avait de quoi devenir fou. December Gosling aurait un jour ma peau et le pire dans tout ça était sans doute que je ne résisterais même pas.

Laissez-moi vous expliquer la situation plus en détail – c’est pas comme si on avait pas le temps quoi. Après avoir aménagé ici, à Londres, j’avais passé des années à enchaîner des petits boulots pour essayer de faire ma vie. C’était suffisant, mais rien de bien passionnant. Et puis, était venu l’épisode dans lequel j’avais commencé à accompagner des quadragénaires riches à craquer dans leurs petites soirées mondaines. Rien de bien payant non plus. Jusqu’au jour où la famille Gosling me trouva par pur hasard, compris très rapidement que je n’étais rien de mieux qu’un prolétaire qui se cherchait un peu d’argent, et ils m’engagèrent comme chauffeur de leur fille. Depuis, j’accompagnais cette petite blondasse un peu partout : en fait, partout où elle allait. Depuis, ma vie était beaucoup plus aisée : certes, je ne roulais pas sur l’or, mais au moins j’avais de quoi payer un appartement respectable et confortable pour un homme seul, j’avais de quoi manger mes plats préférés toute la semaine et j’avais même le luxe de me payer quelques gâteries une fois de temps en temps. Si ce n’était pas la belle vie, alors je vous demande ce que vous voulez de plus. Un manoir ? Une automobile de la dernière année et la nouvelle garde-robe de plus grand couturier de la ville ? Oh, peut-être bien, sauf que j’étais bien loin de tout ça. Je n’en demandais pas autant à vrai dire, et même si parfois je pouvais paraître un peu superficiel, j’étais en réalité bien simple et je me contentais de ce qu’on me donnait sans trop me plaindre. La seule chose que je demandais c’était un peu de paix après mon travail quoi, mais il avait fallu que j’ailles me mettre les pieds dans les plats, et bien enfoncés en plus !

Rares sont ceux qui peuvent résister à December Gosling : son charme et son charisme la rende complètement à craquer et n’importe quel homme se jetterait à ses pieds ne serait-ce que pour avoir une seconde d’attention de sa part. Je pouvais me considérer chanceux ; j’étais sans aucun doute celui à qui elle parlait le plus régulièrement, je connaissais son emploi du temps par cœur, les endroits où elle passait toutes ses journées. J’aurais pu me contenter de ça, mais apparemment, ce n’était pas assez : après une petite soirée passée à la reconduire un peu partout, j’avais fini par céder lorsqu’un soir, elle me demanda de la raccompagner jusqu’à la porte de son manoir. Le reste de la soirée est encore un peu flou dans mon esprit mais… tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillé le lendemain dans son lit, l’ensemble de mes vêtements étendus sur le sol. Depuis, on était « officiellement » en relation, selon la presse, et j’étais maintenant connu pour être son nouveau petit ami : fait qui ne semblait pas être tout à fait clair dans l’esprit de la blondinette et qui m’énervait de plus en plus. J’avais beau être complètement vendu à elle, j’en avais marre de devoir me limiter dans mes activités et me demander sans cesse si ce marathon valait vraiment la peine d’être couru. Malheureusement, jamais ce sujet n’était vraiment revenu dans nos discussions. À vrai dire, ces soi-disant discussions se terminaient souvent par une partie de jambe en l’air dans son luxueux manoir ou dans mon petit appartement miteux – miteux pour elle, en fait.

J’avais de quoi m’occuper l’esprit, pour tout vous dire, lorsque je l’attendais à l’arrière du centre commercial, ces journées où elle se décidait d’aller faire un peu de shopping. Souvent, il m’arrivait de me passer mes CDs d’Aerosmith en pleine tête pour m’empêcher d’y penser, mais ça ne fonctionnait que le quart du temps. Tiens, voilà, justement, en parlant du loup ; je la vis sortir par la porte arrière, cette petite blonde pleine de charme, ses cheveux dans le vent, ses lunettes de soleil posées gracieusement sur son nez. J’en devenais complètement gaga ; un véritable enfant devant une part de gâteau au chocolat. Pitoyable, si vous voulez mon avis ; mais je n’y pouvais absolument rien. Elle était magistère, une véritable sorcière dont l’emprise m’étouffait constamment. Et pourtant, je ne me débattais point.
Malheureusement pour moi, une grosse tache dans le décor vint mettre fin à mes rêveries : derrière elle, et je les reconnaissais tous, trainait une bande de jeunes hommes aux muscles bien sculptés, habillés avec leurs polos couleurs pastels et leurs cheveux à la Ken, qui portaient tous ses multiples sacs, la suivant comme des chiens de poches. Ça m’enrageait : surtout de voir qu’elle leur souriait tous, qu’elle les adorait même ! Il ne devait pas y avoir une journée sans que je croise l’un de ses disciples. Une vraie de vraie secte ! Et puis bon, qu’est-ce qu’ils en avaient à faire d’elle ? Ils étaient pas tous homosexuels ? Parce que oui, bon, ça m’énervait de voir tous ses mecs traîner avec elle, encore plus de savoir qu’ils devaient recevoir toute son attention durant la journée et que moi, je devais gentiment attendre dans sa limousine blanche bien cirée. Étrangement, toute cette histoire avait animé en moi une véritable haine pour les gays : les hommes surtout. Les femmes ? J’en avais que dalle ; tant que December ne commençait pas à les côtoyer aussi. Alors là, je crois que je ferais une crise de nerfs. C’était triste pour eux et mon inconscient se sentait bien mal parfois : je n’avais rien contre les homos. Ils vivaient leur vie comme ils le voulaient bien, non ? Toutefois, comme la première approche que j’avais eu avec des gays s’était révélée catastrophique dû à ma jalousie extrême et mon manque de rationalité, ils subissaient les conséquences d’une haine mal placée. Et pourquoi ? Tout ça parce qu’une irrésistible petite blonde tirait les ficelles de mon existence.