Peter ▬ Wednesday, Thursday, Friday = WTF

Il y avait en Angleterre, dans une demeure pour cadre-quarantenaire-avec-famille-dans-la-banlieue-de-Londres, un jeune homme appelé Peter à qui Dame Nature avait données les mœurs les plus ... Enfin disons qu’elle avait fait avec une fin de stock. On soupçonnait de cet enfant aux yeux clairs qu’il était fils de madame et d’un autre homme. Toutefois, Madame trompant Monsieur et Monsieur trompant Madame, le sujet de la fidélité restait assez peu souvent évoqué.

Madame était une de ses femmes de la nouvelle génération, se prenant pour une Margaret Tatcher, une George Sand et bien d’autres icônes féministes modernes. Elle avait joués les rebelles du temps de ses études, défiés les préjugés familiaux hérités d’une certaine bourgeoisie qui n’aurait pas demandé mieux qu’obtenir quelques quelques quartiers de noblesse. Toutefois, elle avait abandonnées ses grandes idées de liberté quand l’âge avait commencé à se faire sentir et qu’elle s’était aperçu que son beau visage serait vite terni par les rides, qu’on ne voudrait plus l’épouser, et que ce malheureux concours de circonstances la conduirait à élever dix-huit chats en banlieue de Londres. Ou pire. Elle avait séduit le premier trentenaire prometteur qui passait par là, ne s’était guère formalisée de leur dix ans d’écart et avait ainsi obtenu un charmant petit pavillon. Ses parents avaient renié avec elle en apprenant la naissance du premier enfant du couple, Peter. Peter Arthur Jonhson. On aurait volontiers ajoutés d’autres prénoms derrière ceux-là, mais comme il fallait que l’enfant les écrive tous sur les copies qu’il rendait à son institutrice (copies qui seraient longuement regardées par des parents prêts à les afficher si excellentes, ce qui n’arriva jamais), il fallait être un peu clément avec lui. D’ailleurs, ça aurait fait trop « petit bourgeois ».

Monsieur était l’archétype même du patron d’entreprise coureur de jupons qu’on retrouvait dans toutes les mauvaises fictions. Toutefois, il n’était pas patron mais cadre [s]supérieur[/s] (il fallait bien appuyer sur ce mot). En effet, il n’avait jamais eu l’occasion de reprendre une entreprise et il ne s’agissait pas vraiment du genre d’hommes imaginatifs. Hormis les pronostics des courses de chevaux, un certaine notion de ce que devait faire une famille-type dont les parents gagnaient un minimum d’argent et le besoin d’inculquer deux ou trois choses à son fils. Pas grand-chose d’intéressant, une préparation à Oxford eut été plus juste pour désigner les moments père-fils qu’ils partageaient. Deux heures, une fois tous les quinze jours le dimanche. Monsieur n’avait pas l’air enchanté, d’ailleurs. Il aurait nettement préféré être avec sa secrétaire pour faire des choses que nous ne nommerons pas ici.

Il y avait enfin mademoiselle, dans la famille, petite sœur de Peter. A l’inverse de son frère sur qui on avait placés de trop grands espoirs et qui ne semblait pas comprendre l’importance de bien travailler à l’école pour avoir un emploi stable et bien rémunéré afin d’être heureux plus tard, trouver une jolie compagne, et avoir deux ou trois enfants et un labrador (le labrador de la famille s’appelait Buck, mais il sembla toujours assez indifférent aux notes de Peter). En partie car elle concentrait toute l’attention sur lui et lui permettait d’avoir la paix, Peter adorait sa petite sœur. Il la laissait vivre sa vie, avoir des amoureux (d’ailleurs, lui aussi avait des amoureux) et la protégeait lorsqu’il le fallait. A défaut d’avoir grand-chose dans le ciboulot, Peter était bien bâti et pouvait faire peur à la moitié de la cour de récréation. L’autre étant des filles, et on tape pas les filles (sauf sa propre soeur mais c'est pas une fille, rien qu'une soeur).

Tout ce petit monde se retrouvait en fin de semaine et évoquait des sujets agréables tels que le boulot de Monsieur, le boulot de Madame, et les notes de Mademoiselle. Ne pouvaient être acceptés ces repas dominicaux que les sujets de conversation agréable et les gens bien habillés. Ainsi Peter devait-il faire l’effort de bien s’habiller. Effort récompensé par la non-évocation de ses résultats scolaires. Si bien que puisque les résultats scolaires étaient la seule chose comptant pour Madame et Monsieur, on ne parlait quasiment pas de Peter qui s’en accommodait bien, ébouriffait ses cheveux bruns trop bien coiffés pour avoir l'air présentable, regardait ailleurs, regardait sa montre grâce à un reflet judicieusement obtenu sur la porte vitrée et priait pour l’arrivée d’une météorite dans le rosbif. Hélas, elle n’arriva jamais. Pourtant, il se serait contenté d’une pluie de grenouilles, s’il le fallait.

L’enfance de Peter se passe au milieu de mauvaises notes et de pression parentale voulant qu’il travaille plus. Il n’en fit rien. L’adolescence de Peter se passa au milieu des mauvaises notes, mais sans pression parentale. Ca ne servait à rien. Leur fils était un électron libre. On s’en débarrasserait en le casant avec une riche héritière, en lui trouvant un boulot bien payé par piston, et voilà. Pour le rendre heureux, on lui laissait de l’argent de poche qu’il dépensait … En livres et cds. Et pas des groupes pour jeunes, évidemment. Non. Madame et Monsieur commencèrent à s’inquiéter en l’entendant écouter La Flûte Enchantée à longueur de journée. Comment pouvait-il supporter l’air de la Reine de la Nuit, avec l’autre gourde qui chantait pendant près de cinq heures par jour ?

A l’adolescence, Peter commença à s’intéresser de près aux relations amoureuses. Comme tous les jeunes de son âge, il restait informé sur tout ce qui se passait en dessous de la ceinture grâce aux dvds qu’on se passait discrètement. Mais l’amour, le vrai, il ne l’avait pas connu avant elle. Elle, son professeur de littérature. L’histoire classique du jeune qui se met à aimer la matière et l’enseignant. Il fit des efforts vestimentaires, se coiffa un peu ... De fil en aiguille, de discussions en fin de cours aux repas à la cantine, ils en vinrent à sortir ensemble, s’embrassant pour la première fois après une soirée au théâtre. Tout s’enchaîna très vite dans la vie de Peter. Ses notes augmentèrent (dur de séparer mérite et affection) et les professeurs furent moins désagréables, sous l’influence de leur collègue. C’est ainsi que Peter commença à voir tout l’intérêt de la méthode canapé.

Pour éprouver l’intérêt de sa nouvelle méthode, il tenta de l’appliquer sur le système universitaire. Bon rapport de stage. Mais ça faisait trop de professeurs qu’il pouvait difficilement corrompre (il n’aurait pas eu assez de soirées de libre). Non, ce qu’il lui fallait, c’était un bon plan piston, dans une vie en entreprise. Grâce au soutien financier de Papa-Mana qui n’avaient tout de même pas envie de dire « il a raté la fac » si on leur demandait des nouvelles du fiston, Peter put partir aux Etats-Unis, travailler pour une chaîne de télévision. Évidemment, il aurait espéré une chaîne culturelle. Mais il se contenterait des programmes « pour jeunes ». L’avantage avec son emploi nourricier de séducteur (oui, Peter était ce qu’on aurait pu appeler un poulet de luxe. Il trouvait toujours un moyen de se faire offrir ou une nuit à l’hôtel, quoiqu’il n’ait pas trop le temps de dormir, ou un repas au restaurant. Avec plusieurs amants, ça faisait une somme d’argent), c’est qu’il s’habituait à se que voulait le public. Certains préféraient le modèle « homme viril et poilu » ? Pas de problème, il vendait du rêve en choisissant des vêtements moins amples et en déboutonnant deux ou trois boutons de chemise. Le côté sentimental faisait toujours son effet ? Il dénichait un fleuriste pas trop cher et débarquait avec un bouquet à l’improviste. La méthode Peter Jonhson « oui, c’est pas bien, tout ça. Mais moi, ça m’intéresse. Oh et puis zut, c’est mon corps. J’le vends si j’veux. ».

Grâce à d’autres pistons inavouables, l’anglais décida de retourner dans son pays natal. Il avait entendu parler d’une chaîne de télévision novatrice. Et puis, même s’il y avait une émission appelée «the naked boy », les programmes devraient voler un peu plus haut que le r&b. On ne pouvait pas faire plus bas. Non, vraiment, s’il avait eu un secret à taire entre les passages sous le bureau et la chaîne dans laquelle il avait travaillé, il aurait préféré ne pas évoquer le deuxième point. Sauf que ça ne marche pas comme ça « dans la vie réelle ». Vie réelle. Connerie, va.

Aux Etats-Unis, Peter avait pris d’excellentes habitudes. Tout d’abord, il se nourrissait mal, avalait quelque chose de gras en guise de petit déjeuner (donuts, les frites, il avait essayé mais c’était juste impossible avant onze heures. Il aurait pu écrire un chapitre d’histoire sur La Crise d’Indépendance de l’Intestin Grêle ou comment-j’ai-cru-ma-dernière-heure-arrivée-un-matin-de-mai-à-cause-d’un-ex-que-j’aurais-franchement-pu-plaquer-avant). Ensuite, il faisait bonne impression devant sa gay pride de collègues et s’habillait bien. On va dire qu’il évitait de venir en survêt pourri et qu’il mettait un jean avec une chemise quelconque, dénichée dans une friperie. So London. Après quoi, luxueux appareil diffusant de la musique sur les oreilles (un Bang&Olufsen, vous avez cru qu’il se contenterait d’un Ipod ? Que nenni, l’ami !), il prenait le métro. Et attirait le regard. A choisir, Peter mettait ça sur le compte de son charme naturel plutôt que sur la taille du casque sur sa tête.

Il avait ensuite à la Romanov Tower, frais comme une rose de deux jours. Il saluait le gardien, repoussait les avances d’un type assez collant (« mais je te dis que je suis casé, bordel ! Et non, il accepte pas l’infidélité. C’est pas faute d’avoir demandé. »), et se dirigeait aussitôt vers la machine à café. Un jour, il l’épouserait. Quand il pourrait la faire marcher avec des piles et l’emmener partout avec lui en lui susurrant des mots doux. Devant la femme de sa vie, il faisait le plein de café dans son gobelet Starbucks (effet psychologique), vidé dans le métro. Car Peter était macho. Tout du moins, il n’avait qu’une main libre. Le gobelet de café était le prolongement naturel de sa main gauche. Si 2012 arrivait, il garderait son gobelet quand même. Et Fuck la fin du monde.

Son gobelet à la main, Pete saluait quelques amis, traitait dans sa barbe de deux jours de « salopes » les deux putes de son étage (remarquez que l’inverse n’eut pas été possible. Il était mal placé pour lutter contre les catins. Il aurait plutôt été d’avis de viriliser la profession. M’enfin.) et s’asseyait sur son fauteuil. En prenant soin de poser son gobelet de café avant de bondir par-dessus son bureau, véritable cadre dynamique. On rendait son quotidien extraordinaire avec les moyens du bord. Avec du faux café Starbucks, beaucoup d’huile de coude et du homard bon marché. Rituel immuable (là encore, il riait au nez des Mayas), il posait ses pieds sur le burea, et se disait qu’il n’aurait pas du mettre ses chaussures là. Que ça faisait quand même très gay. Et qu’à faire très gay, franchement, il se serait tatoué sur le front le drapeau LGBT. Sauf que son copain n’aurait pas été d’accord. Bah, il caserait ça lors d’un lifting. Non, pas de lifting.

« Il était un petit naviiiireuh … » commenta-t-il en voyant flotter un post-it innocent dans son sacro-saint café. Petit inconcient, va.

Il repêcha vaguement le post-it. Tiens, une réunion dans dix minutes ? On allait venir le chercher, forcément. Il écarta son café … Enfin, son bras, et jeta le post-it. De l’autre main, il sortit un dossier qu’il fit tourner sur son doigt comme une pâte à pizza.

« C’est décidé, mon p’tit. Le jour où on te vire, tu vas faire des crêpes en Roumanie. »

Rassenéré, il ouvrit son dossier, mit sa main sur son menton comme le penseur de Rodin (en plus habillé) et fit mine de travailler sérieusement. En fait, il relisait juste la fiche écrite hier. Enfin, écrite … Il y avait un smiley à côté de chaque nom d’émission. Quand le smiley avait une corde autour du tronc-cou, ça voulait dire que c’était vraiment nul. S’il fumait quelque chose d’illégal, c’était bon signe. Et ainsi de suite. Des années d’expérience pour en arriver là ! C’est qu’il n’était même pas fichu de se relire quand il écrivait. Alors il compensait avec des smileys dans différentes couleurs. Du rose, du bleu, du violet, du orange .. un petit arc-en-ciel, quoi. La porte s’ouvrit sur un assistant qui le tutoya. Pas de souci, Peter avait imposé ça dès le début. Appellez moi par mon prénom, c’est plus simple, c’est moins chiant.

« Peter, dans deux minutes, c’est …
Relax mon pote ! Hop hop hop ! C’est bon, allez, ravale ton rictus, man ! Je vais y aller, y vont me demander ce qu’on programme. J’vais leur dire que ça, ça, ça, c’est à vomir jusqu’à ses tripes, et puis voilà ! Accessoirement, on s’en fout. C’est bon, tu t’sens prêt ?
Heu … C’est …
Tatata ! Vas-y ! Redresse les épaules, sors la poitrine, lève la tête ! Allez, t’es un winner ! Tu vas déchirer à cette réunion !
Mais c’est toi qui doit y aller, Pete.
Hum ? Oh, c’est pareil ! A tout à l’heure, je reviendrais couronné de lauriers ! Veni, vidi ... Oh, et puis merde : yo ! »