Liam Nills || Behind green eyes

« Ne cherchez pas à connaitre les gens par l’image qu’ils veulent que l’on ait d’eux. Cherchez à les connaitre par la façon dont-ils se conduisent quand ils sont seuls. »


Liam mit un moment avant d’oser affronter son reflet dans le miroir. Il devait avoir l’air du type qui n’a pas vu un peigne depuis des jours. Et, quand vous possédez des cheveux effrontément bouclés, ça ne pardonne pas et vous risquez vite d’avoir l’air d’un balais à récurer les toilettes. Enfin, il osa, après encore un autre interminable moment d’hésitation. Deux yeux de chat verts et lumineux le regardaient avec étonnement, surmontés de cette masse brune et bouclée mentionnée ci-dessus qui lui dégoulinait sur le regard. Un teint naturellement pâle, des cernes dues aux soirs de déments au restaurant et aux diverses joies de la vie d’un grand cuisinier. Il avait un air de décavé, de sortit du placard. Sortis du placard, en parlant de ça… nul n’aurait put dire en regardant Liam Nills qu’il était gay. Ca ne se voyait pas, si tant est que ces choses là se voient comme un nez au milieu d’un visage. Non, il était classique. Elégant, mais pas maniéré, subtil mais pas efféminé, juste ce qu’il faut de bon gout. Après un bâillement énorme, il décida de passer quelques vêtements sur son corps. La serviette de bain glissa de ses hanches et il attrapa un boxer dans un tiroir. Peu importe la couleur. Ah vous insistez ? Bon d’accord, il était noir avec l’élastique rouge. Passionnant non ? Bras croisés, il se lança dans l’étude du contenu du placard de son regard lumineux comme s’il espérait que les vêtements allaient en sortir tout seuls. Dommage, les fringues ne semblaient pas très coopératives. On ne pouvait pas dire qu’il était musclé, ni athlétique. On voyait juste qu’il se maintenait un minimum en forme. Liam n’aimait pas l’idée de devenir bedonnant et flasque. Il en refusait tout bonnement l’hypothèse. Non mais c’est vrai, c’est moche de se réveiller un matin et de se dire « le chat s’est encore endormi sur mon ventre » et de finalement découvrir que « ah non j’ai juste prit du bide ». Liam poussa un soupir de désespoir à cette évocation avant de se débattre avec son jean. Un bouton, remonter la fermeture éclair. Ayé on y arrive. Non mais quelle idée de faire des tissus où même un type normalement constitué peut pas rentrer. Une chemise blanche, un polo vert… parait que ça faisait ressortir ses yeux. Il sortit de sa chambre pour se rendre à la cuisine. Il tomba alors sur un chat tigré le regardant avec un air soupçonneux.

_ T’aimes pas le vert maintenant Réglisse ?

Pas de réactions féline. Il en conclut qu’il attendait simplement son sachet de miamcatz, la pâté des chats guerriers. La lecture de ces chefs d’œuvres de littérature qu’étaient les emballages de « biens de consommation » l’avaient toujours laissé dans un grand état de perplexité. D’aucuns diraient que Liam est un peu trop élitiste, la vérité est qu’il n’aime pas qu’on prenne les gens pour des cons. Il mit la bouilloire d’eau à chauffer sur sa base électrique. Il n’aimait pas le café le matin, il préférait en prendre un à 10h. Il sortit un sachet de Earl Grey et deux sucres et attrapa par réflexe une tasse marquée fièrement « Mon patron adore mon c*l ». Oui, c’était un cadeaux de ses collègues. Liam était un être trop délicat et pudique pour s’être auto-acheté une tasse avec un texte de ce genre. Et puis, le propriétaire du restaurant avait autant de chances d’être gay que Steeve Wonder de courir le marathon de New York. En fait, beaucoup auraient put vous dire que Liam Nills ne sait pas s’amuser. Non, c’est vrai, il ne le sait pas. Ce n’est pas un fêtard, il n’aime pas sortir, il préfère passer la soirée chez lui à lire avec son chat callé sur les genoux. Un vieux avant l’heure vous direz. Ne pas savoir s’amuser était un problème. Ses amis gay affirmaient que c’était la raison pour laquelle il n’avait jamais personne dans sa vie. Ils n’avait pas tout à fait tord, mais c’était plus surement dut au fait que Liam était incapable d’avoir confiance en lui-même. Comment donc séduire quelqu’un si vous n’êtes pas capable de vous séduire vous-même ? Mais en fait il n’avait pas été élevé comme ça, c’est tout. A dire vrai, ses parents étaient des êtres très exigeants. Son père était chirurgien, et brillant, et sa mère travaillait pour un grand journal. Vous voyez le genre ? Pas de celui qui laisse leur fils sortir en discothèque. Et puis, ses parents ne l’aimaient pas en fin de compte. Longtemps, Liam Nills avait pensé que ses parents, Oliver et Helena, ne lui témoignaient pas d’affection car il ne l’avait pas mérité. Mais il avait bien comprit que ce n’était pas tout à fait ça. Il avait beau faire tous les efforts, recevoir les félicitations de tout le monde, ils ne l’aimaient pas. Il continuait à aller les voir, à leur parler, à faire semblant d’être un bon fils, mais ils ne l’aimaient pas. Même l’annonce qu’il était gay ne leur avait fait ni chaud ni froid… mais ça, ce sera l’objet d’un autre chapitre. Il regarda la tasse. Il la trouvait bien trop vulgaire. En fait il allait en prendre une autre. Il se hissa sur la pointe des pieds pour en attraper une seconde et ranger celle là. Liam n’était vraiment pas très grand, et il devait souvent utiliser un tabouret. Pourquoi les concepteurs de cuisines ne sont pas capables d’admettre qu’il existe des gens qui mesurent moins d’1m70 ? Pourtant, en tant que chef cuisinier émérite, Liam pouvait espérer des outils à sa taille. Un autre soupir. Un regard dans la surface parfaitement propre du plan de travail en inox de la cuisine lui apprit que ses cheveux étaient on ne peut plus rebelles. Il essaya de les plaquer avec ses mains mais rien n’y faisait. Trop exigent avec lui-même, je vous l’ai dit.

_ Ces cheveux ne tiendront jamais j’en ai peur.

Liam n’était absolument pas cuisinier au départ. En fait, il avait commencé des études de médecine, pour faire comme son père. Mais à tout bien considérer, faire comme papa ne lui convenait plus. Alors il s’est reconverti dans une filière qui lui plaisait d’avantages. La cuisine. Le pire, c’est qu’il y était très doué, extrêmement doué. Et il était l’un des cuisiniers de Londres les plus connus et les plus salués par la critique. En fait, le nom de Liam Nills était sur les lèvres et dans les oreilles de tout le cortège hype londonien. Tout ça, c’était énorme pour lui. Comment devenir l’un des célibataires gay les plus en vues de la ville en moins de 10 ans top chrono. Car en prime, tout le monde savait qu’il était de la paroisse. Lui qui détestait qu’on se mêle de sa vie. Il coupait une orange en deux d’un geste d’expert. Jamais orange n’avait vu de geste aussi maitrisé, mélange de délicatesse et de fermeté. Bien, arrêtons de dévier sur les mains de Liam, avoir des mains présentables est normal pour un cuisinier. Aurait il les mains sales et les ongles mal taillés que vous vous enfuiriez du restaurant. Liam était assez fier de ses mains, et aucun de ses partenaires n’avait jamais eut à se plaindre de celles-ci non plus. Un journal so chic gay avait titré sur « les mains les plus orgasmiques d’Angleterre ». Il n’avait pas été flatté. Il était bien trop tourmenté par le fait qu’on ait été aussi dithyrambique sur lui. Il n’avait pas l’habitude pensez vous, avec les parents qu’il avait. Il avait but son thé et sirotait maintenant son jus d’orange fait main. Et dire que cette chaine de télé l’avait approché pour une émission culinaire. Non, pas flatté du tout. Il avait trop peur de ce que ça pouvait donner. Il était si affreusement timide, si peu en confiance avec lui-même. C’était quoi le nom de la chaine déjà ? Modern boys TV. C’était pas tellement son genre mais bon. En même temps, c’était moins stressant que passer des soirs entiers dans une cuisine de restaurant à courir partout. Il fallait encore qu’il réfléchisse. Tout ça était… oui on l’a dit, trop énorme. Un croissant engloutit et il mit ses chaussures, un chat gratouillé derrière les oreilles et il mit son imper. Londres et son temps radieux, ironique bien sur. La journée était lourde, le temps désastreux. Liam et ses petites contrariétés, qui au demeurant étaient fort nombreuses.

_ Le homard pour la 12 il vient ou pas ? On va pas passer la nuit à l’attendre les gars on se motive.

_ Okay chef !

_ Les gars Monsieur Nills ?

Tandis que les toques passaient à vitesse grand V, une jolie brunette piquante regardait Liam Nills du coin de l’œil sans cesser de tourner la sauce mayonnaise avec une fourchette.

_ Pardon Theresa, c’est une façon de parler.

_ Ahanh ?

Un petit sourire avant que Liam ne reparte dans l’autre sens, allant surveiller le dressage d’une blanquette de veau dans un ramequin en terre cuite. Il frappait dans ses mains en cadence pour activer le mouvement. Tout le monde courrait dans tous les sens, c’était le gros bazar. Bienvenue dans une cuisine de grand restaurant un Samedi soir. Ils étaient débordés, et Liam ne fut pas particulièrement ravi de voir le propriétaire du restaurant arriver avec les sourcils froncés, un journal à la main. Il fit semblant de ne pas le voir, détourna le regard, concentré sur une croustade aux pommes.

_ NILLS !

Trop tard ! Ça devait être vraiment urgent pour qu’il l’interpelle à travers les cuisines. Liam soupira, tourna les talons, et s’approcha du big boss.

_ Oui David ? J’ai pas beaucoup de temps comme vous pouvez le constater.

_ Taisez vous et regardez plutôt ça.

Il lui jeta le journal d’un air furieux. Une grande une en lettres capitales qui lui fit l’effet d’une bombe. « Liam Nills, les révélations sur le meilleur cuisinier de la ville ». Mais qu’est-ce qu’on avait bien put lui trouver. Il pensa tout de suite à ses parents. Non, pas de risque qu’ils aient eut l’idée de discuter sur lui. Il ne put s'empêcher de se dire que ce titre était vraiment d'un commun affligeant. Il sentit presque la sueur lui couler dans le dos. A moins que ça ne soit à cause de la chaleur des lieux. Les « révélations » étaient bien pires que ce qu’il avait imaginé. « Désolé mesdames, mais il semblerait que ce séduisant célibataire ne s’intéressera pas à vous. Un camarade de lycée nous aurait assuré que Monsieur Nills était bel et bien gay. » Ça voulait dire quoi ça ? Qui avait cafté ? Bon, le plus important était de gérer la crise avec le patron, qui faisait les cent pas.

_ David, ce n’est que des suppositions qu’ils tentent, ils tâtent le terrain !

_ Nills, pas la peine de se voiler la face.

David Whitestone se tourna vers lui et planta ses deux yeux ronds et noirs dans ceux de chat verts du cuisinier. Il était déjà au courant, avant même de l’avoir embauché. C’était déjà rassurant. Alors la seconde étape était de sonder les gens pour savoir qui avait lu ça. Peut être était ce une feuille de choux que personne ne lirait ou qui ne serait pas crue. Il regarda l’en-tête. Le Daily Post. Ok, d’un côté il aurait dut être flatté que l’un des meilleurs journaux de la ville parle de lui, encore qu’il n’aimait pas que l’on parle de lui, mais en même temps cela voulait dire que beaucoup avaient lut ça et que beaucoup le croiraient.

_ David…

_ Moi je m’en fous de ce que vous faites de vos nuits ou même de vos journées, tant que vous faites votre boulot. Mais j’ai pas envie que ces putain de connards viennent foutre leur nez dans vos casseroles pour vérifier si y‘a pas un de vos copains travelos dedans.

Liam faillit grincer des dents. Ce type était trop vulgaire. Mais il se retint. Pas franchement le moment de perdre son job en même temps qu’une partie de sa crédibilité. Il se contenta de hocher la tête doucement pour montrer qu’il avait comprit.

_ Faudrait mettre les choses au clair tout de suite… en commençant peut être par parler au troupeau de journalistes qui stationne depuis une demi heure devant le restau.

Il reçut un coup à l’estomac. Il y avait vraiment des journalistes devant le restaurant qui attendaient pour ça ? Il cligna des yeux. Et… minute ! Il faisait ce qu’il voulait, et s’il n’avait pas envie de dire ça devant tout le monde, il ne le ferait pas. C’était sa vie privée, les gens n’avaient pas besoin de savoir.

_ Je n’ai pas envie de faire ça

_ Nills, tant que vous ne direz pas la vérité clairement, ils vous poursuivront, et ils vous empêcheront de travailler. Et si vous ne travaillez pas correctement, vous êtes viré.

Okay, alors il n’avait pas vraiment le choix. Il décida de prendre son courage à deux mains et sortit des cuisines. En traversant la salle du restaurant, il se rendit à peine compte du silence religieux qui suivait ses pas. Les gens s’étaient arrêtés de manger, se demandant avec curiosité comment il allait s’y prendre. David avait dit vrai, un tas informe de journalistes attendait dehors.

Dès qu’il passa la porte, ils se précipitèrent sur lui comme des dingues en pointant micros, caméras et tout un tas d’autres ustensiles.

_ Monsieur Nills, quelles sont vos réactions face aux accusations du Daily Post ?

Il s’efforça de garder un minimum de calme.

_ Parce que vous appelez ça des accusations ? On est plus au Moyen Age, être gay n’est plus infamant. Je ne suis pas accusé de meurtre que je sache ?

_ Mais quand même, c’est une atteinte à votre vie privée.

_ Oui, je suis d’accord. Mais peut être que ça avait trop trainé à sortir.

_ Alors le Daily Post avait raison, vous êtes homo ?

_ Oui. Je suis homo.

Un silence de quelques secondes, puis de nouveau le brouhaha. Ils tenaient un scoop, ils étaient content. Mais Liam était crevé et il n’avait pas envie de leur parler. Il fit un geste de la main.

_ C’est tout ce que j’ai à dire et je ne dirais rien de plus. Je vous demande de respecter ma vie privée, tous autant que vous êtes, et de laisser ce sujet en paix.

Il savait que dire ça était illusoire, mais au moins c’était dit. Il les avait prévenus. Il tourna les talons et rentra dans le restaurant dans le but d’aller s’isoler quelque part. Il se sentait humilié. Non pas qu’il considérait comme humiliant que les gens sachent qu’il était gay. Ça faisait partie de sa vie, il n’en tirait ni honte ni fierté. Mais il se sentait piégé par le maelström médiatique, comme un petit rat de laboratoire qui se fait avoir par l’odeur du gruyère. D’autant que les images allaient encore tourner longtemps dans les médias…